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Auguste Marcot au Maroc
Auguste Marcot à Ben Guérir en mai 1914

Peu avant la Grande Guerre, Auguste Marcot est envoyé au Maroc. C’est certainement un choix personnel : désir de rejoindre ceux des « Colonies », ambition de carrière ? Sans doute les deux. La motivation devait être importante car il laisse derrière lui sa jeune femme et son premier enfant, le petit Jean, né en 1912.

En 1913, de lieutenant au 47ème régiment d’infanterie de Saint Malo, il passe lieutenant au 7ème régiment de Tirailleurs Indigènes pour le Maroc Occidental.

Fin novembre 1913, il débarque au Maroc.

 Contexte historique et sociologique

« Les Colonies » à l’école

L’enseignement scolaire de la fin du XIXème siècle et du début du XXème réserve une part importante aux « Colonies ».

Quelques citations issues d’ouvrages scolaires :

« Si nous voulons, nous Français, conserver une place dans le monde, il faut, par un vigoureux effort, voyager, coloniser, répandre partout notre langue… »

« La France a le don de la sympathie. Elle seule s’est montrée capable d’apprivoiser les sauvages, au lieu de les détruire… »

« Une partie de l’humanité, surtout en Afrique, est encore ignorante, superstitieuse, barbare… »

« La race blanche, la plus parfaite des races humaines… »

Les Français, dès leur plus jeune âge, sont éduqués dans cette idée qu’ils sont supérieurs aux autres et qu’il est de leur devoir de coloniser les pauvres êtres inférieurs qui peuplent les terres lointaines…

Bref résumé historique

Au XIXème siècle, toute puissance européenne digne de ce nom se doit de posséder un « empire colonial », qu’il se nomme Colonie comme en Algérie, ou Protectorat comme en Tunisie. A peine l’esclavage est-il aboli qu’il faut soumettre – sous une autre dénomination – d’autres peuples supposés « inférieurs ».

Dès le début du XXème siècle, le Maroc est convoité par l’Europe entière.

La France, l’Italie, l’Angleterre et l’Espagne se sont partagées le gâteau, mais pas l’Allemagne. Aussi tente-elle deux  coups de force, le premier par le débarquement de Guillaume II à Tanger en 1905, le deuxième en 1911 par l’envoi de la canonnière « Panter Sprung » à Agadir.

Cela aboutit à un accord entre la France et l’Allemagne : la première garde les coudées franches au Maroc tandis qu’elle cède à Guillaume une partie du Congo…

Pendant ce temps, Hubert Lyautey œuvre à la pacification du Maroc.

Il commence son action en 1903, à la frontière entre l’Algérie et le Maroc, à Aïn Séfra, où il rencontre Charles de Foucauld.

Puis il continue à pacifier, selon son expression en faisant « tâche d’huile » et en s’appuyant sur les grands caïds qu’il respecte.

Le 30 mars 1912, une convention est signée par le Sultan Moulay Hafid : c’est le fameux Traité de Fez », considéré par les Marocains comme une trahison du sultan. Le Maroc à son tour devient un Protectorat français.

En avril 1912, les Tabors marocains massacrent leurs instructeurs européens.

Lyautey, devenu général, obtient le poste de Résident Général de France au Maroc. Il débarque à Casablanca le 14 mai 1912.

Dix jours plus tard, il se trouve à Fez pour apporter son aide au sultan. Assiégée, la ville est dégagée par Gouraud.

La résistance la plus importante est celle de El Hiba qui, en août 1912, se proclame sultan à Tiznit et s’empare de Marrakech. (En septembre de la même année, le Colonel Mangin reprendra la ville).

Le 15 août, à Rabat, Lyautey impose à Moulay Hafid son abdication et son remplacement par Moulay Youssef.

Dans son discours du 14 juillet 1913, à Rabat, Hubert Lyautey se félicite de la pacification du Maroc réalisée en un an : « Marrakech, presque devenu déjà un but de tourisme… Fez, en plein essor de vie communale et de paix sociale…Je m’avançais sans escorte à 50 kms vers Taza… » Mais il reconnaît que l’œuvre de pacification n’est pas terminée.

En réalité, l’agitation des tribus insoumises ne cessera jamais.

Le charisme de Lyautey

Controversé par sa hiérarchie militaire et aussi par les Politiques, Hubert Lyautey a enflammé les jeunes esprits. Ses collaborateurs ont laissé d’émouvants témoignages sur sa personnalité. Au Maroc aussi, il a laissé une bonne image. (Par exemple, Abderrahim Ouardighi, dans son livre Lyautey ou l’Etat moderne marocain, en fait un panégyrique).

Lisons la description de Lyautey qu’en fait, peu avant la Grande Guerre, un de ses collaborateurs, le Général de Boisboissel, in Dans l’ombre de Lyautey :

« Nous attendions le Maître…il avait ceci d’intimidant qu’il vous regardait quelques instants, d’un regard qui vous retournait comme une poche et embrassait aussi bien la coupe du vêtement que l’âme, mais sans un mot…D’un ton saccadé, il me jeta : « Votre mère ? – Très bien, mon gén… – Vous êtes marié ? – Oui, mon… Etes-vous père ?…il me donna une bourrade sur l’épaule…Il n’avait pas tout à fait soixante ans. La forte moustache était encore assez noire, ou châtain, la brosse des cheveux déjà blanche. L’œil bleu, vif, pénétrant, magnétique…Lyautey était presque toujours nerveux, parce que la parole – la sienne ou celle des autres – n’allait pas assez vite pour sa pensée…Il parlait par phrases brèves, par interrogations directes, comme des coups de poing sans feinte, attendant rarement une réponse, parce qu’il avait déjà compris depuis longtemps – ou jaugé l’interlocuteur. »

L’esprit de Lyautey

Il a, vis-à-vis de la colonisation, une opinion très différente de celle qui est pratiquée en Algérie. Il s’insurge contre « le muflisme » des colons. Il imagine le colon plutôt – de façon bien irréaliste ! – comme un « gentleman farmer » …

Il remet la terre aux fellahs, la soustrayant à la convoitise des colons (en se les mettant à dos…). Il conserve la Médina avec ses artisans et boutiquiers.

Il met en évidence l’élite marocaine. Il respecte la mosquée, dans laquelle il refusera toujours d’entrer. Il sera d’ailleurs à l’origine de la construction de la Grande Mosquée de Paris.

Pour lui, coloniser, c’est défricher une terre abandonnée et restituer son humanité perdue à l’indigène vaincu par la nature. La colonisation peut être régénératrice pour l’homme européen atrophié par l’excès de civilisation.

Les amours coloniales

L’apparition de la carte postale va véhiculer une image de la femme maghrébine conforme à l’idée qu’on peut s’en faire depuis les peintres orientalistes du XIXème siècle.

La femme apparaît comme une prostituée potentielle, représentée la plupart du temps à demi dévêtue. Elle nourrit le fantasme de l’homme blanc : une expérience sexuelle avec une femme indigène fait partie de l’aventure coloniale.

Pour l’équilibre du soldat, des bordels militaires de campagne (BMC) sont instaurés. Dans les postes isolées, une ou plusieurs prostituées sont engagées. Le BMC est contrôlé par le Chef de Corps ou de Détachement. En ville des courtisanes (« almées », de l’arabe alem=savoir) sont proposées aux officiers. En principe elles ne se prostituent pas, ce sont des femmes cultivées qui offrent le thé, jouent de la musique. Mais en réalité, on cherche à gagner d’autres « faveurs »…

Relations entre officiers français et soldats indigènes

Globalement, et contrairement à ce qui se passait en Algérie, les rapports étaient confiants quoique marqués par les préjugés acquis depuis l’enfance sur la supériorité de la race blanche. Ils étaient aussi teintés de paternalisme, les indigènes étant souvent qualifiés de « grands enfants » (on entend encore cela à propos des Noirs…)

Au Maroc, « l’effet Lyautey » joue beaucoup en faveur du respect, le respect des croyances et des habitudes de vie.

Pendant la Grande Guerre, on a pu constater un réel attachement entre officier blanc et soldat indigène, tel tirailleur, par exemple, allant chercher le corps blessé de son officier. Les témoignages sont nombreux.

Injustices et exactions restent cependant nombreuses dans la vie quotidienne des camps militaires.

Bibliographie  

Jacques Frémeaux Les Colonies dans la grande guerre

Daniel Rivet Le Maroc de Lyautey à Mohammed V

Daniel Rivet Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation

Arnaud Teyssier Lyautey

Général Catroux Lyautey le Marocain

Hubert Lyautey Paroles d’action

Christelle Taraud La prostitution coloniale

Jean-Louis Larcade (éd. des Argonautes) Zouaves et Tirailleurs

Marie et Jacques Gimard Mémoire d’école

Le parcours d’Auguste au Maroc

La vie de garnison à Saint Malo ne plaît pas à Auguste. Il s’en plaint dans une carte postale qu’il envoie à sa jeune femme en septembre 1911 : « Je suis absolument abruti par les soucis de ma popote. Je n’arrive pas à faire quelque chose de bien malgré tout le mal que je me donne. »

Pendant toutes ses années de caserne, il a entendu parler de Lyautey, ce militaire atypique, et lorrain comme lui ! Il a dû lire son livre « Du rôle social de l’officier » et l’on peut penser qu’il a aspiré à devenir ce militaire pédagogue prôné par Lyautey.

Il a reçu un grand nombre de cartes postales envoyées par des camarades depuis l’Afrique du Nord et rêve comme beaucoup de cette terre promise. Quoi de plus exaltant que l’idée d’apporter à ces pauvres indigènes la Civilisation ! Il faut se mettre dans l’ambiance de l’époque pour comprendre – et accepter cela…

La notion de racisme n’est pas la même qu’aujourd’hui car en toute naïveté on croit à la supériorité de la race blanche. Ensuite, « sur le terrain », quelques officiers ont pu moduler ces idées…Auguste était-il de ceux-là ? On peut l’espérer, en fonction de son éducation, de ses brefs écrits et de son comportement.

Auguste ne faisait pas partie d’une élite. Il était fils de paysan et a pu intégrer l’école de St Maixent par son seul travail. Il n’avait donc pas les préjugés de la classe bourgeoise envers les « inférieurs ».

Il ne décrit pas avec arrogance les marocains qu’il côtoie. Il remet même en cause le bien-fondé de notre soi-disant civilisation : « Ils (les indigènes) ont vécu sans route, sans ponts, sans voitures, à quoi bon toutes ces innovations… »

Plus tard, envoyé en pleine guerre en Algérie pour faire du recrutement, il ne cessera de réclamer d’être renvoyé sur le front. Etait-ce parce qu’il s’indignait de ce qu’il voyait en Algérie ? Mais cela concerne un autre chapitre…

En 1913, afin de consolider ses positions acquises, Lyautey lance un programme de constructions de routes. Il a besoin de soldats pour encadrer les ouvriers indigènes et les protéger.

Auguste veut saisir sa chance d’approcher le grand homme, travailler pour lui, être cet officier idéal qu’il aspire à devenir…C’est aussi une opportunité pour sa carrière.

Il se met à apprendre l’arabe (obligatoire) ou au moins à en acquérir quelques notions.

Et sa famille ? En effet, il est papa d’un petit garçon né en juillet 1912. Emmener femme et enfant ? Impensable, sa solde ne suffirait pas à les installer confortablement. D’ailleurs,  il sera toujours « sur la route ». Autant qu’ils restent en sécurité en métropole. Lucie aurait-elle tenté l’aventure ? C’est fort peu probable…

Il ne partira que pour dix-huit mois, c’est ce qu’il écrit à Lucie : « Tu as notre chéri près de toi et cela doit bien adoucir pour toi les années de la séparation. Je rentrerai probablement en France en juin 1915. Ce n’est donc qu’une séparation de 18 mois. » Il ne peut se douter que  lorsqu’il écrit ces mots en décembre 1913,  la guerre va malheureusement l’empêcher de rentrer dans son foyer…

Auguste est un cas exceptionnel. Ils sont rares en effet les militaires mariés qui partent dans les Colonies. La hiérarchie les voient d’un mauvais œil : « une épouse et l’alcool, voilà les deux ennemis du soldat », dit-on…

Il intègre pourtant, par décision ministérielle du 24 octobre 1913, le 7ème Régiment de Tirailleurs d’Indigènes au Maroc Occidental. Comme il est parti et rayé des contrôles du 47ème le 10 novembre, il dispose d’une permission de dix jours pour organiser son départ et faire ses adieux à sa femme.

Auguste  fait donc campagne au Maroc Occidental du 1er décembre 1913 au 1er août 1914, selon son livret militaire. Il part, alors que sa femme est enceinte de leur 2ème enfant, mais il ne le sait pas encore…

Son parcours, d’après les cartes postales qu’il a envoyées à sa femme est celui-ci :

Du 5 au 10 décembre : Casablanca

Du 10 au 20 décembre : Ber Rechid et Mechra-Ben-Abou

Auguste Marcot devant sa casemate au Maroc

Du 20 décembre au 18 mai 1914 : Marrakech

–         en janvier il est au camp de Bou Ackaz. Construction d’une route

–         le 7 mars il est au camp d’Aïd Bousta. Toujours la route

–         le 12 mars, camp d’Oued n’fis

–         le 30 mars, camp d’Assoufied

–         le 16 avril, de retour à Marrakech

Du 4 juin au 6 septembre : Ben Guérir (officiellement sur son livret militaire, il fait campagne contre l’Allemagne au Maroc du 2 août au 6 septembre 1914)

Il est bien noté. Voici ce qu’on peut lire dans son livret matricule d’officier :

1913

Passé au 7ème Régiment de Tirailleurs indigènes (Maroc Occidental) par décision ministérielle du 24 octobre 1913 – St Malo, le 10 novembre 1913 – PONCET DE NOUAILLES

1914-1 Arrivé depuis peu. Donne une impression de très bonne santé et de grande solidité physique, intellectuelle et morale.

S’adapte rapidement au service des hommes indigènes

1914 

Le lieutenant Marcot commande depuis le 6 novembre la 1ère Compagnie du 7ème Tirailleurs. C’est un officier intelligent, vigoureux, énergique, plein d’allant et d’entrain qui dirige son unité avec la plus grande compétence. Très aimé de ses hommes dont il s’occupe beaucoup et auxquels il donne à tous les points de vue le plus bel exemple, il possède sur eux un réel ascendant et en obtiendrait les plus gros efforts. Le lieutenant Marcot est proposé pour le grade de Capitaine à titre temporaire : il fera un parfait commandant de Compagnie. Jonchery 17 février 1915, le Lieutenant-Colonel L. TREMIERES.

Vu 28/2/15 , le Général CHENOIR

D’après la correspondance qu’il a laissée sous forme de cartes postales souvent pittoresques du Maroc, il semble qu’il ait aimé ce pays. Sans doute admirateur de Lyautey comme beaucoup de ses camarades et de tempérament  idéaliste, l’a-t-il rencontré ? Aucune action d’éclat n’est mentionnée. Son travail principal,  plutôt monotone, est de construire des routes. Il prend plaisir à faire de longues chevauchées dans le désert, accompagné de son ordonnance, principalement pour chasser la cigogne et autre gibier. Il respecte les indigènes et ne connaît pas de problème avec les hommes qu’il commande.

Il ne restera que 9 mois au Maroc, car il sera envoyé sur le front avec les troupes de la 2ème Division du Maroc le 6 septembre 1914.

Précisions sur le 7ème régiment de tirailleurs qui a eu un parcours très mouvementé : il a été formé par le dédoublement du 3ème régiment de tirailleurs de Constantine. Les cinq nouveaux régiments (créés en 1913), 5ème, 6ème, 7ème, 8ème et 9ème, furent rapidement utilisés au Maroc. Il a comporté 4 bataillons (Etat Major à Constantine) ; les 1er et 4ème sont au Maroc Occidental.

Les poches simulées de la veste sont appelées tombeaux (ou tombôs), rouges au 1er Régiment, blanches au 2ème, jaunes au 3ème et bleues au 4ème

Le 7ème RMT (régiment de marche de tirailleurs) a été commandé par les lieutenants-colonels DEMETZ, SCHULTZ puis MENSIER. Il a eu 6 citations. Son histoire se confond avec celle de la Division marocaine (1ère DM) dans les rangs de laquelle il fit toute la guerre.

Pour ce qui concerne la période de  guerre qui nous intéresse (1914 – 1916), citons le très complet livre de Jean-Louis Larcade, publié aux Editions des Argonautes :

 » Ce régiment (Régiment de marche de tirailleurs de la Division marocaine, sans numéro, formé en octobre 1914) devint le 7ème régiment de marche de tirailleurs en décembre 1914. Il récupéra le drapeau du 7ème RTA qui avait été emporté en guerre par le 1er bataillon du 7ème RTA (cf. volume 2) du 2ème régiment de marche de zouaves et tirailleurs de la 3ème brigade marocaine (futur 1er régiment mixte de zouaves et tirailleurs). »

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